À la mine, en usine, en atelier, le travail au quotidien s'imprime
dans le corps, parfois avec violence. L'apprentissage des gestes
et des postures, la maîtrise du rythme ou le vertige de la vitesse
le forment, le déforment, en le pliant aux habitudes. La lumière,
le bruit, la chaleur intenses le plongent dans un univers de sensations
envahissantes. Le contact avec les autres, la promiscuité des odeurs
et des humeurs, mais aussi l'exhibition de la virilité et les jeux de
séduction, l'enserrent dans un espace de perceptions intimes.
Pour restituer au plus près ce corps à l'ouvrage, Thierry Pillon
a utilisé une étonnante série de récits, de témoignages et d'autobiographies
rédigés depuis le début du XXe siècle. Ils sont précis,
troublants, terribles par moments, quand surviennent blessures ou
accidents. Des scènes surgissent sous nos yeux, décrites avec les
mots des acteurs eux-mêmes. On y découvre, par exemple, ces
jeunes mineurs qui restent seuls au bal tant ils transpirent noir, le
piquant des cristaux sur la peau des femmes dans une usine de
sucre, les métaphores guerrières pour dire le bruit. On y lit aussi la
beauté des usines et leur silence imposant à l'arrêt des machines, la
provocation insolente des blagues sexuelles ou le besoin de caresse de
ces corps meurtris. Attentif et rigoureux, Thierry Pillon analyse à
la fois les continuités et les ruptures dues aux changements techniques
ou aux évolutions des sensibilités. C'est tout un monde
ouvrier en mouvement qui s'incarne sous sa plume.