Au commencement était le verbe du Christ : <<Bienheureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.>> De cette parole fondatrice naît le don des larmes, figure historique et vivante de la valorisation chrétienne des pleurs. Dès ses débuts, le christianisme recommande de pleurer pour purifier son âme ; au Moyen Age, nombreux sont les hommes et les femmes qui versent des larmes abondantes et douces ou aspirent à la grâce divine des pleurs. Comment les mots de Jésus ont-ils pu engendrer ces pratiques ? Comment les pleurs, traditionnellement attachés à l'expression de la tristesse et de la douleur, ont-ils pu devenir un signe de béatitude, un véritable charisme ? C'est cette force créatrice et interprétative du christianisme qu'interroge Piroska Nagy, à partir des sources de l'Antiquité tardive et du Moyen Age. Comme le sujet comporte bien des paradoxes, nous en découvrons les multiples formes et interprétations : depuis les pleurs de la souffrance ascétique jusqu'à ceux du désir-amour du ciel ou même jusqu'à la béatitude momentanément atteinte. Loin d'être une histoire des sensibilités, la pratique à la fois spirituelle et corporelle des pleurs religieux se comprend au sein de l'histoire intellectuelle des chrétiens médiévaux, qui l'inscrit dans une anthropologie, une théologie et une ecclésiologie.
Cette traversée de neuf siècles d'histoire du christianisme nous permet de comprendre que le Moyen Age occidental n'a pas pleuré davantage que les autres époques, mais que les larmes y revêtaient un sens spirituel dont l'usage semble s'être perdu depuis.