A en croire Lou Andréas-Salomé (Ma vie, PUF, 1977) la rencontre de Rainer Maria Rilke avec Rodin ne serait pas étrangère à la conception de cet exercice spirituel que constitue le Livre de la Pauvreté et de la Mort. "La sombre puissance du dieu qui d'abord protège en son sein l'être naissant", écrit-elle, "se dresse comme une sorte de gigantesque masse montagneuse où l'homme est enfermé..." Cette interprétation pourrait aussi éclairer la décision que prit Adamov de traduire (ou d'adapter) le poème et de le publier, avec une singulière préface datée du printemps de 1940, dans la collection Fontaine que dirigeait à Alger Max-Pol Fouchet. C'était peut-être, pour Adamov, une manière de s'interroger à travers Rilke sur la culpabilité et les interdits à un moment où il cherchait à vaincre ses propres angoisses. Reste que la rencontre Rilke-Adamov, outre l'intérêt littéraire qu'elle présente, révèle leur complicité dans l'incomplétude, la similitude de leurs interrogations ontologiques et la foi que, malgré leur désespoir, ils conservent dans l'écriture et la poésie, seules capables de contraindre Dieu à la révélation.