La vie humaine ne connaît jamais qu'une édition. C'est
l'avantage éternel que les livres ont sur elle. Ils peuvent
traverser les époques, s'amender, se bonifier, revenir sur leurs
défauts, masquer habilement leurs imperfections. Ils peuvent
poursuivre des vies tranquilles dans les bibliothèques où
ils peuvent vieillir en paix n'ayant plus guère d'ennemis
irréductibles si ce n'est les autodafés, qui ne sont plus guère à
la mode de nos jours, les vers et par-dessus tout l'indifférence
qui reste finalement l'ultime ennemi du livre.
C'est du lecteur qu'un livre tire sa force. C'est par des
générations de lecteurs qu'un livre peut être davantage
qu'une existence d'homme. Ainsi en est-il du livre-brouillard
de Lichtenberg dont les pensées demeurent actuelles malgré
le passage de générations livrées aux vers. Nous ne sommes
pas encore parvenus à faire le compte exact de nos faiblesses,
ni à connaître la balance précise de nos ridicules : ce livre
sert à en dresser le bilan.
L'oeuvre de Lichtenberg, depuis sa première parution en
1800, est devenue classique. Elle prend le lecteur à témoin,
elle se construit autour de lui, l'interpelle, le tutoie, mais de
ce tutoiement qui est une forme supérieure de respect,
lorsque les connivences, la complicité et la sympathie se
sont fait jour entre deux intelligences, un jour qui apparaît
souvent par la lecture.
C. L. B.