Dans l’aristocratie des fleuves, le Mississippi tient le premier rang. À tous les points de vue, il est très remarquable. C’est un de ceux qui prêtent le plus à l’écrivain et qui offrent le plus d’intérêt au lecteur. En comptant le Missouri, son affluent principal, c’est le plus long cours d’eau du monde avec 4300 milles. C’est en même temps le plus crochu, puisqu’on certains endroits de son parcours il emploie en zigzags une longueur de 13000 milles, alors que la ligue droite n’en supposerait que 675.
Le Mississippi est peut-être le type le plus simple de tous les grands fleuves. Il ne prend point sa source dans les glaciers d’une haute chaîne de montagnes, comme la plupart des cours d’eau de l’Europe et de l’Asie; il n’arrose point, comme l’Euphrate, le Nil ou le Rhin, des campagnes que les guerres et les événements de l’histoire ont rendues célèbres : il ne relève que de lui-même, et ne doit rien ni à l’histoire, ni à la fable. Son importance, il la tire surtout des changements qu’il opère dans la configuration du continent nord-américain, de l’énorme quantité de travail qu’il accomplit chaque jour. Tout indique que le cours même de ce fleuve et la forme du delta Mississippien auront une influence décisive sur le développement social d’une grande partie des États-Unis. Entre le réseau hydrographique d’un pays et son histoire, il n’y a pas en effet une relation moins intime qu’entre le système sanguin d’un animal et ses mœurs. Le fleuve est le pays vivant, agissant, se transformant.