Le monstre
Est-ce qu'un seul mot est apte à transcrire ce qui s'est passé ? Que sont donc les mots ? Des artifices et des impostures, rien d'autre. Quels sont les mots qui sont suceptibles de dire précisément la flambée des corps, pulvérisés, atomisés par la déferlante des bombes ? Quels sont donc les mots qui peuvent dire la nuit sans fin, ces nuages de brouillard qui confinent les corps dans des abris meurtris ? Quels sont donc les mots qui peuvent dire ces territoires jonchés de cadavres, qui peuvent recenser les milliards de morts ? Quels sont les mots qui peuvent raconter les jours qui ont suivi, qui peuvent raconter ce que l'homme est devenu ensuite, qui peuvent raconter les guerres tribales, qui peuvent raconter l'anéantissement des hommes ? Quels sont donc les mots qui peuvent expliquer qu'au bout de quelques mois il ne restait, en tout et pour tout, que quelques milliers d'hommes ? Quels sont donc les mots qui peuvent expliquer qu'il ne demeure que l'île, que nous sommes sans doute les derniers survivants ? Quels sont donc ces mots ? Il me les faut. Ces mots. Il me les faut. Quels sont les mots aptes à dire le corps de l'enfant dépouillé de son sang ? Où sont-ils ? Où se cachent-ils ? Il me les faut. Je l'exige. Apportez-moi donc ces mots qui apaiseront la souffrance. Apportez-les. Je les veux. Je suis né un jour d'apocalypse, je suis né à la vraie vie un jour d'apocalypse. Je suis devenu un monstre un jour d'apocalypse.