Elona-Ornela-Eva, triple et pourtant unique héroïne
de cette fable de la dictature, est née dans le pays
qu'Enver Hoxha assujettit sous sa bonne étoile. Sur
le jeu de l'oie où la voici lancée, il y a quelques
cases à éviter soigneusement, notamment la prison
(son père est détenu pour d'indéfinissables raisons
politiques), la noyade ou la pendaison, et surtout la
putinerie qui, on le lui a bien expliqué, est la nature
même des filles. Somme toute, il s'agit de passer au
mieux de la petite enfance à l'adolescence, de dessiner
son bonheur dans l'amour de sa mère et dans le
rêve de l'exil, de voir grandir son corps à la dérobée
de l'avide machisme ambiant et malgré l'uniforme
que la patrie vous taille déjà pour vous emprisonner
les seins sous les couleurs nationales. Puis il s'agit,
à la première occasion, de fuir. Alors, loin du paradis,
la mémoire peut ressaisir, libre, lucide et désenchantée,
les étapes de cette éducation albanaise
dont le récit étonne par sa finesse et son ironie.