Le philosophe chez les autophages
S'interroger sur l'avenir de la philosophie revient aujourd'hui, à bien des égards, à s'interroger sur l'avenir d'une désillusion. La philosophie n'a probablement jamais multiplié à ce point les déclarations d'humilité et de renoncement et en même temps manifesté autant d'arrogance dans sa façon de transformer la mort qu'elle proclame en une résurrection, par la méthode classique du « changement de sujet ». Au lieu de se rattacher à une tradition dont la spécificité résulte de l'existence d'une catégorie particulière de problèmes que l'on peut qualifier de « philosophiques », elle essaie le plus souvent de se redéfinir essentiellement en termes d'anti-tradition, d'anomalie, de marginalité, de crise et de rupture permanente. Malheureusement, comme les positivistes en ont fait à chaque fois l'expérience, la décision d'abandonner la discussion de certains problèmes ne les fait pas disparaître. L'impression qu'une mutation historique radicale a été effectuée et que nous sommes déjà entrés dans l'ère post-philosophique ne correspond pas forcément à une réalité quelconque. Enfin le rôle que l'on attribue à la philosophie dans la culture de demain est généralement conçu d'une manière telle que l'existence de philosophes professionnels ne devrait logiquement plus pouvoir être défendue et maintenue autrement que par tradition ou par inertie.