Ce que José Bergamín aura compris de nous, prémonitoirement : notre future impossibilité à le comprendre. Ainsi se range-t-il parmi ceux qui nous disent : « Je n'irai pas plus loin. Je reste en deçà de ce nouveau siècle. Je me retire dans la brume de ce que fut notre temps - celui que nous eûmes en commun - et dont nous fîmes, chacun, si diversement usage. » Et ce qu'il aura compris alors du drame de la République espagnole : le présage de « sombres temps » pour l'Europe tout entière.
Mais, du plus profond de ce puits de l'angoisse, où s'agglutinent les philosophies du néant, surgissent les grandes figures de l'Espagne, du Don Juan de Tirso au Don Quichotte, moqueurs et colériques héros de la geste populaire, portés par leur implacable « volonté de ne pas mourir » ; et leurs paroles se mêlent ici aux pensées d'un Pascal, d'un Kierkegaard, d'un Nietzsche, comme aux vers du frère Luis de León ou de Jean de la Croix. Jamais Bergamín ne s'est risqué en des territoires aussi nettement « inactuels » que dans cet ouvrage paru en 1941. Jamais il n'a été aussi désespéré - aussi libéré de cet espoir donné aux hommes avec tous les maux -, et porté par ce désespoir moqueur qui lui fera écrire quelques années plus tard : « Car même en tant que squelette espagnol vivant... et pour mort que l'on veuille me tenir en Espagne où je suis né, je me crois fondé à continuer de vouloir me considérer comme ressuscité, ou comme ressuscitable. »
Mort pour de vrai en 1983, le plus pur écrivain espagnol de ce siècle laisse à ses ultimes contemporains une oeuvre multiple dont L'Espagne en son labyrinthe théâtral et L'Importance du Démon et autres choses sans importance ont déjà parus dans cette collection.