«Quatre automnes passèrent qui firent de miraut un maître.
La chasse n'avait plus pour lui de secrets : il n'était pas dans
tout le territoire de la commune un canton de lièvre qu'il
ne connût, un gîte possible qu'il ne soupçonnât, un terrier dont il ne pût
désigner le propriétaire. Il savait qu'à toutes les saisons un nouveau lièvre
revenait s'installer dans telle haie, dans tel gros buisson, un jeune levraut
s'établir dans telle combe ou dans tel murger ; il distinguait les jours où
ces locataires maniaques préféraient les logis de plein air des luzernes et des
trèfles à l'abri touffu des grands bois ; il connaissait les haies giboyeuses et
n'ignorait pas qu'au moment de la chute des feuilles et les jours de grand
vent, les sillons des grands labours bruns recèlent plus d'un capucin.
«Quant aux ruses déployées par les adversaires, il les connaissait, les devinait,
les pressentait. Dès qu'il lui arrivait de lever un lièvre, il devait se
dire pour des tas de raisons qui eussent échappé même à Lisée : toi, mon
gaillard, tu es jeune, tu feras une pointe en dehors du bois et tu reviendras
soit à droite, soit à gauche, j'aurai l'oeil ; ou encore : oh ! oh ! voici une
vieille connaissance ; où va-t-il faire ses doublés et crocher aujourd'hui, le
citoyen ? Selon la direction prise, il savait où la piste s'embrouillerait et de
quel côté il faudrait opérer les recherches pour démêler la nouvelle.
«Il avait un accent particulier, un timbre différent de jappement, un mouvement
de chanson de gueule spécial pour chaque gibier et dès son premier
mot, dès sa quête même, Lisée pouvait déduire : c'est un lièvre, ou un
renard, ou un blaireau, ou un écureuil, ou encore il est sur un piétement
de perdrix ou de cailles.»