Le vêtement est l'objet d'un très étonnant paradoxe. Alors qu'il est ce qui différencie le plus évidemment l'homme de l'animal, distingue le plus immédiatement les hommes entre eux ou identifie le mieux une époque, il a été, d'une manière générale, peu étudié en tant que tel. Sans doute parce qu'écrire sur le vêtement implique le renversement de toute une attitude philosophique : s'employer à poser le vêtement non plus comme puissance d'erreur mais comme moule, matrice, non plus comme élément second, accessoire, mais comme élément premier, fondateur, déterminant les comportements individuels comme les structures sociales ; bref, prendre le pari qu'Au commencement était le vêtement. Ce pari était risqué, mais c'est pourtant celui qu'a pris le colloque qui s'est tenu durant l'été 1998 au château de Cerisy et qui réunissait, dans la large perspective interdisciplinaire qui, devant les manques constatés, s'imposait, psychanalystes et psychiatres ; philosophes, esthéticiens et sociologues ; critiques littéraires et critiques d'art ; et professionnels du monde de la mode.
L'ouvrage qui est issu de cette entreprise tente de répondre à un certain nombre de questions. Quelle est l'importance du vêtement dans la construction identitaire, individuelle ou collective ? Pourquoi est-il si largement absent du champ de l'interrogation psychanalytique ? Quelle peut être sa fonction dans la création littéraire et artistique ? Comment y apparaît-il ? Quelles sont ses représentations les plus remarquables ? En quoi ses représentations peuvent-elles aider à appréhender l'état d'une société ? Est-il possible de mettre en place une théorie du vêtement et de la mode ?
La réponse à ces questions s'organise autour de trois grands axes de réflexions. Un premier ensemble de textes qui mêle la théorie psychanalytique à la clinique, la pathologie lourde à des traumas plus bénins, s'emploie à souligner l'importance du vêtement, dans la construction, déconstruction, reconstruction des identités sexuelles et sociales. Prenant appui sur cette première approche, un second ensemble de textes est consacré à la littérature et aux arts. Non seulement il étudie les représentations que la création littéraire et artistique donne du vêtement, mais, ce faisant, il vient aider et conforter l'investigation psychologique précédente tout en permettant à une théorisation sociologique de s'esquisser. C'est cette théorisation sociologique du vêtement et, par suite, de la mode qu'un dernier ensemble d'essais, selon des angles d'approche divers mais non exclusifs les uns des autres, se donne enfin pour tâche d'entreprendre.