Existe-t-il un style antisémite, qui, au-delà des thèmes traditionnels de la
judéophobie, caractériserait l'écriture et le discours ?
En décortiquant les textes, depuis la Belle Époque et l'affaire Dreyfus jusqu'aux
attentats du 11 septembre 2001 en passant par l'avant-guerre et la collaboration,
on découvre un fil conducteur, une «doxa» diffusée et popularisée par la
littérature, la caricature, les discours idéologiques, et qui est caractérisée par
des constantes stylistiques. À la charnière des XIXe et XXe siècles, Charles
Maurras, Léon Daudet, mais aussi Émile Zola et Octave Mirbeau ont, volontairement
ou non, déjà doté l'antisémitisme de marqueurs et de dénoteurs stylistiques.
Mais c'est bien sûr Céline qui, dans ses romans comme dans ses pamphlets,
a réalisé la synthèse des antisémitismes de droite et de gauche en popularisant
un style particulier, exclamatif, populiste, argotique qui se voulait aux
antipodes du style proustien, «fleuri, alambiqué, oriental» : en un mot, juif.
Les ravages du style célinien, qui passait le message génocidaire comme en
contrebande, se sont fait sentir jusque bien après la guerre, bien que bridés par
la loi et l'absence de talent, sous la plume de négationnistes comme Paul
Rassinier et Roger Garaudy, ou de «rouge-brun» tels que Jean-Édern Hallier et
Marc-Édouard Nabe. Et de constater qu'aujourd'hui encore, le discours antisioniste,
qui a achevé sa mondialisation, fait des Juifs, comme soixante ans auparavant
et pour de tout autres raisons, dans un tout autre contexte, des cibles
potentielles, où qu'ils se trouvent dans le monde.