«Chaque soir de nouvelles villas se vident, chaque
matin l'on voit des familles gagner le port, croisant
les belles lycéennes au large chemisier blanc, à
la jupe qui dessine les hanches, et les pêcheurs de
sardines. Alexandrie s'en va. Des policiers sifflent
pour personne, comme des oiseaux, aux carrefours
déserts. C'est l'hiver et pourtant il arrive que
monte du rivage une odeur moite qui rappelle l'été.
Dans ces moments, le regret est le plus fort. Ceux
qui ont moins de bagages et d'enfants s'arrêtent
pour un dernier café d'Alexandrie à la Maison du
café. On lit au plafond la devise ordem in progresso.
Les murs sont couverts de glaces biseautées,
de statistiques, de réclames en français - les cafés
brésiliens sont les meilleurs du monde - et l'on ne
s'entend pas, à cause du bruit des hautes machines
nickelées. Que dirait-on ? Ceux qui partent ne retiennent
rien, ni le grondement ferrugineux du
tram, ni les inscriptions des kiosques, ni l'odeur du
poisson aux épices et au citron, enveloppé de papier
huilé. Ils n'ont plus de mémoire. Du moins le
croient-ils. Elle se vengera plus tard, en leur présentant,
à l'occasion, Alexandrie telle qu'elle fut,
plus complète même qu'ils ne l'auront jamais connue,
et nimbée de la fraîcheur particulière aux premières
fois.»