On faisait l'ENA, au sortir de la guerre, pour servir la
collectivité. Les choses étaient alors claires. On mettait
son ambition au service de quelque chose de plus grand
que soi. Mais, aujourd'hui, qu'en est-il ? Neuf énarques ont
accepté de parler de leur enfance, de leurs admirations et
détestations, de leurs réussites et de leurs échecs, de leurs
changements de pied, de leur vision de la France. Tous ont fait
l'ENA entre 1985 et 1999. S'ils se sont ignorés dans les couloirs
de l'École nationale d'administration, ils vont se croiser dans
les allées du pouvoir. Ils appartiennent au monde de la banque
(Matthieu Pigasse), des médias (Denis Olivennes, Laurent Solly),
des affaires (Nicolas Bazire), de la politique (Jean-François Copé),
du service public (Sophie Boissard, Martin Hirsch). Ils sont passés
en majorité dans le privé. Certains d'entre eux sont connus du
grand public, d'autres ne le sont pas. Ils sont fiers de leur réussite
sociale fulgurante, mais est-ce que cela leur suffit ?
«Qu'est-ce qu'on va laisser comme trace ?» s'interroge
Alexandre Bompard (PDG de la Fnac). Car si l'on peut parler
à leur propos de réussites individuelles, comme le souligne
Emmanuel Hoog (président de l'AFP), on ne peut plus guère
parler de réussite collective. Alors, que veulent-ils réellement
ces neuf hommes et femmes qui sont le fer de lance d'une élite
de plus en plus vilipendée en France ? Encore plus d'argent,
de notoriété, de pouvoir ? Pas si simple. L'ENA, qualifiée d'«école
du pouvoir», leur a heureusement apporté une certaine mauvaise
conscience. Ils veulent aussi leur propre estime.
Ils savent qu'elle passe par ce qu'ils auront mis de force au service
de la collectivité.