Démocrite n'est pas un matérialiste au sens ordinaire ; ses atomes ne sont pas des corps - les trois études ici réunies offrent leurs éclairages croisés pour réfuter l'idée reçue, depuis plus de deux mille ans. Et la tradition ainsi forgée perdure aujourd'hui encore, aveugle au fait que les atomistes - Démocrite et Leucippe - n'avaient nullement en tête des corpuscules ou des molécules préfigurant Dalton et l'atomisme du XIXe siècle. La théorie platonicienne des idées a d'emblée refusé la concurrence insupportable avec l'identification des atomes à des «idées» - d'où l'impressionnant silence de Platon à l'égard de Démocrite. Plus visiblement polémique, Aristote a ensuite systématiquement retraduit les concepts démocritéens en les privant tous de leur sens dynamique : cette retraduction est allée de pair avec une interprétation qui voulait faire de Démocrite un adversaire aisément réfutable. Or, malgré l'état déficient des sources - aucun ouvrage de Démocrite ne nous est parvenu -, l'auteur mène une enquête extrêmement précise, à la fois philologique et philosophique, et parvient à reconstituer ce que la réception a voulu étouffer ou fausser à travers les citations dont elle usait. Au terme de sa lecture insistante, l'auteur révèle l'atomisme antique sous un jour très différent, mais d'autant plus proche de nos spéculations contemporaines.
Heinz Wismann, philologue et philosophe, est spécialiste d'herméneutique et d'histoire des traditions savantes. Directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences sociales, il a travaillé principalement sur la pensée antique (Parménide, Héraclite, Démocrite, Platon), la postérité du criticisme kantien (Humboldt, Schleiermacher Dilthey, Cassirer, Benjamin) et sur la théorie de la connaissance historique. Il a été directeur de la collection «Passages» aux Éditions du Cerf de 1986 à 2007.