Euripide
Les bacchantes
Oh si tu avais vu ça ! L'une d'elles soulève à bout de bras Une jeune vache belle pleine de lait qui mugit de terreur
Elle la déchire en deux !
Ces furies déchirent nos génisses, les écartèlent vives !
Tu dois voir ce spectacle ! Des côtes, des sabots fourchus
Qui volent en haut, en bas, qui s'accrochent aux mélèzes
Et coule s'écoule le sang le long de ces branches...
Des taureaux enragés aux cornes gonflées de fureur
S'affaissent, leur masse croule vers le sol,
Poussés par dix mille mains de jeunes filles
Elles leur décollent la peau de la chair bien plus vite
Que toi tu ne rabats les paupières sur tes royales pupilles !
Dans cette dernière pièce qu'Euripide consacre à Dionysos, dans la « modernité » voulue de l'oeuvre s'affirme l'homologie entre l'expérience dionysiaque et la représentation tragique. Si le drame des Bacchantes révèle, à travers l'épiphanie de Dionysos, la dimension tragique de la vie humaine, il fait aussi, en « purifiant » cette terreur et cette pitié que provoque l'imitation sur scène des actions divines, briller aux yeux de tous les spectateurs le ganos, l'éclat joyeux et brillant de l'art, de la fête, du jeu : ce ganos que Dionysos a le privilège de dispenser ici-bas et qui, comme un rayon venu d'ailleurs, transfigure le morne paysage de l'existence quotidienne.