Trente-cinq ans que je cours le monde et ses
tourments. La première fois que j'ai vu l'exode
d'une population, c'était les boat-people qui fuyaient le
régime d'Hanoï. Mais ces migrants étaient des réfugiés
politiques et le monde les regardait d'un oeil bienveillant.
Avec le temps, l'opinion s'est lassée. J'ai suivi les
barques qui affrontaient le détroit de Gibraltar, les
pirogues de la mort pour les Canaries, les zodiacs de
Turquie vers l'île grecque de Lesbos, le flot des épaves
vers le canal de Sicile. Jusqu'à Lampedusa. J'ai suivi
le sillage de ces bateaux ivres, sur terre et sur mer. Je
voulais faire le récit de ces hommes et femmes qui ne
voient qu'une seule issue : partir.
Nous, Européens, hésitons toujours entre compassion
et répression. Pendant ce temps, ils partent. Avec la
force des désespérés ou des conquérants. Et rien ne les
arrêtera.