Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Bruno Schulz. Souvent comparé à Franz Kafka, Schulz livre ici treize récits d'inspiration autobiographique qui constituent l'histoire d'une famille dans sa signification spirituelle, le secret d'un sang et d'un lignage sous une forme qui touche au mythe. Le père, la mère, les commis de la maison, les servantes, la gouvernante sont les personnages de l'enfance de l'auteur, et le narrateur pourrait bien être identifié à l'enfant qu'il fut, capable toutefois de faire basculer sans transition un récit d'apparence réaliste dans la fantaisie et le fantastique. Il répond en cela aux rêves du père, obsédé jusqu'à la folie par l'ennui moderne, de refaire une création inachevée en des actes esthétiques fugitifs et voués à l'échec, comme d'élever des oiseaux fabuleux ("Les Oiseaux"), ou de repeupler la ville avec des mannequins ("Traité des mannequins"). Au monde ancien, substantiel et secret, que représente, dans la géographie de la ville, la rue des "Boutiques de cannelle", s'oppose le commerce frelaté de la moderne "Rue des Crocodiles", mais l'une et l'autre sont le lieu d'une rêverie, d'un fantasme d'ordre érotique qui ne peut jamais se réaliser. Dans "La Nuit de la grande saison", il réalise son vœu de faire se rejoindre la réalité morne et son possible merveilleux dans l'écriture. Effaçant les clivages du désir, il peut devenir, selon le titre d'une gravure où il s'est représenté en position d'extase masochiste aux pieds d'une belle femme hautaine lisant, "L'Idolâtre du livre": le livre d'un réel hérétique et poétique où le désir et la loi semblent pouvoir se réconcilier.