Les Cahiers du Rhône contribuèrent au renouveau de l'édition suisse romande, véritable relais de l'édition française pendant la Deuxième guerre mondiale. Créés en 1942, ils furent dirigés par Albert Béguin et édités par Hermann Hauser, le directeur des Editions de la Baconnière. Divisés en trois séries - bleue, blanche, rouge -, résolument tournés vers la France occupée, Ils ont accueilli de grands poètes et écrivains : Aragon y publia Les Yeux d'Eisa, Eluard, Poésie et Vérité 1942 (avec le célèbre poème « Liberté »), Saint-John Perse, Exil. Parallèlement, des cahiers de doctrine, plus politiques, développèrent une vision personnaliste et humaniste de l'Homme pris dans l'étau des idéologies nazie et pétainiste.
A travers la fabrication quotidienne et la diffusion tant légale que clandestine, l'aventure des Cahiers du Rhône fourmille de démêlés avec les censures suisse et française, victimes du jeu savoureux de « berne-censure ». Armés du « Glaive de l'Esprit », les Cahiers du Rhône participaient à ce qu'on a appelé en 1945 la « Poésie de la Résistance », à savoir « une résistance à l'air libre » qui s'accomodait des conditions légales de parution tout en ayant recours à une écriture codée.
A partir des archives de la Baconnière, du fonds Albert Béguin et des documents de la censure fédérale, Olivier Cariguel a reconstitué l'histoire éditoriale et politique de la collection destinée aux jeunes générations dont Bernard Anthonioz, le secrétaire de rédaction, est le symbole. Ce fut un « refuge de la pensée libre » qui permet de découvrir une vigilance méconnue et exemplaire de la Suisse romande chez quelques-uns de ses citoyens, intellectuels opposés à toute compromission en dépit de la sacro-sainte neutralité officielle. « Tout ce que nous avons pu faire pour que la neutralité politique ne dégénérât pas en neutralité morale, il fallait le faire » tranchera Albert Béguin en 1946.