Les clercs de 68, L'éclair de 68... L'homonymie était tentante pour dire la brièveté de l'événement et le choc qui frappèrent l'intelligentsia au printemps 1968. Orage désiré ou véritable illumination pour certains, cataclysme s'abattant sur l'Université pour d'autres, le mouvement de mai-juin mobilisa et divisa profondément les intellectuels autour des nouveaux enjeux nés des mutations de la France des années soixante.
Pour la première fois avec le recul nécessaire, le présent ouvrage explore, à travers le foisonnement de la presse, des revues et des livres publiés «à chaud», le rapport des intellectuels à l'événement lui-même et au phénomène central de la période: la contestation. Il analyse comment les nuées orageuses se sont formées et comment, des rizières du Vietnam aux barricades du quartier Latin, les représentations, nourries par une pensée du «soupçon» et la radicalité des avant-gardes, ont pu se télescoper.
Il prend la mesure de la dimension prométhéenne d'un mouvement qui, en interpellant les clercs sur leur fonction et leur statut, porta un coup sévère à leur légitimité, dans une société où se désacralisait la figure de l'intellectuel née au moment de l'affaire Dreyfus et revisitée par l'«engagement» sartrien. Sommés de descendre de l'Olympe pour porter le feu de la création au commun des mortels et mettre fin à l'antique division du travail, mais également de renoncer à leur fonction de porte-parole des «masses», les clercs de Mai apportèrent à ce défi des réponses pour le moins contradictoires tout en jouant sur deux dimensions constitutives de leur identité en crise : leur vocation politique et leur fonction professionnelle.