Abbas Karam, un dramaturge cairote débutant, a écrit une pièce, intitulée
Les Noces du palais, qui est promise à un grand succès de scandale
car il y raconte à sa manière les turpitudes de sa famille. Quatre personnages
se relaient pour apporter chacun sa version de l'histoire :
l'acteur principal, amoureux de la femme de l'auteur, qui l'accuse
d'avoir dénoncé à la police la vie dissolue de ses propres parents et
causé la mort de sa femme et de son fils ; le père d'Abbas, metteur en
scène toxicomane et véreux, qui accrédite dans ses grandes lignes la
charge de l'acteur contre son fils ; la mère, caissière du théâtre, qui se
lamente sur son existence malheureuse, fustige la veulerie de son mari
et n'arrive pas à croire que son fils bien-aimé ait pu la dépeindre sous
des traits aussi sombres ; enfin, l'auteur lui-même, idéaliste écorché
vif, qui exorcise ses démons d'une plume acérée, forçant parfois le trait
pour se venger du passé, renaître de ses cendres et s'inventer un avenir.
Paru en 1981, ce roman de Naguib Mahfouz est probablement
celui où il s'engage le plus loin dans l'expérimentation, avec une étonnante
disposition à se renouveler sur le plan formel tout en approfondissant
ses derniers thèmes majeurs, ceux de la chute et de la honte,
du passage du temps et de la fragilité des choses humaines.