Dites-moi seulement, si vous le
pouvez, pourquoi, depuis notre entrée en
religion, que vous avez résolue sans me
consulter, vous m'avez tellement négligée,
tellement oubliée, qu'il ne m'a été
donné d'obtenir ni votre présence pour
retremper mon courage, ni même une
lettre pour me faire supporter votre
éloignement. Dites-le, je vous prie, si vous
le pouvez, ou bien je dirai, moi, ce que je
pense et ce que tout le monde soupçonne.
Autrefois, lorsque vous vouliez
m'entraîner dans les jouissances mondaines,
vous me visitiez sans cesse par vos
lettres ; chaque jour vos chansons plaçaient
dans toutes les bouches votre
Héloïse ; toutes les places, toutes les
maisons retentissaient de mon nom. Cette
éloquence qui me provoquait jadis à de
terrestres plaisirs, ne saurait-elle se
donner aujourd'hui le saint emploi de me
porter vers le ciel ? Encore une fois,
souvenez-vous de vos devoirs, considérez
ce que je demande ; et je termine cette
longue lettre par une courte fin.
Adieu. Vous êtes tout pour moi.
Réponse d'Héloïse à Abélard