Lettre ouverte est sans doute le texte le plus
extrême de Juan Gelman. Peut-être parce que,
dans un bouleversement affectif et langagier
qui, à ma connaissance, n'a pas d'équivalent
dans la poésie contemporaine, s'y exprime
l'extrême du désarroi et de la souffrance -
au sens propre : une passion. Celle du père
crucifié par la disparition du fils (enlevé avec
sa femme enceinte en 1976 et «disparu»
dans les geôles de la dictature argentine) et
qui, comme dans L'Opération d'amour qui le
précède immédiatement, ne trouve plus pour
dire l'absence et la douleur que l'éclatement
d'une écriture rendue plus explosive encore
par le recours à une forme et une métrique
régulières : le quatrain et le grand vers classique
hispanique : l'hendécasyllabe.
Jacques Ancet