«L'Europe nouvelle» : c'est sous ce vocable qu'en 1940 les sirènes
de la propagande qualifièrent le continent unifié de force par les
armées du IIIe Reich. Si cette appellation fut synonyme pour des
millions d'Européens de dépendance, de réquisitions et de travail
obligatoire ou forcé, elle fut, étrangement, symbole d'espoir pour un
certain nombre d'intellectuels français qui voulurent y voir l'annonce
d'une possible union européenne.
Loin de se résumer à une simple affaire d'opportunisme ou à un
pur engagement fasciste, cette attitude concerna d'authentiques
militants de l'Europe unie qui pensèrent continuer là un combat
politique souvent commencé dans les années vingt. Pacifistes
rêvant d'en finir avec la souveraineté absolue des États, «techniciens»
confiants dans les vertus d'un gouvernement économique,
socialistes en quête d'une dernière utopie mobilisatrice : tous furent
victimes d'une illusion qui les fit croire à la volonté européenne de
Hitler, les rendant aveugles aux réalités monstrueuses de son ordre
nouveau.
Mais, tout à cette illusion tragique qui fit basculer nombre d'entre
eux dans l'impasse du collaborationnisme - Drieu, Luchaire, Delaisi
en tête -, les intellectuels européistes de Vichy n'en continuèrent
pas moins les réflexions commencées au temps de Briand sur les
conditions d'existence d'une fédération politique et économique.
Avec parfois des expressions troublantes : «communauté de communautés»,
«organe de gestion supra-continental» ou «monnaie
fédérale unique»... Et si les plans européens imaginés sous
l'Occupation constituaient la préhistoire dérangeante de notre
construction européenne démocratique ?