L'unilinguisme est probablement un leurre, et pour cette
raison tout écrivain, y compris souvent sans en avoir
conscience, écrit en plusieurs langues. Mais tandis que
certaines s'imposent, d'autres demeurent en retrait, jusqu'à devenir
invisibles, sans disparaître totalement.
Plus nombreux qu'on pourrait le croire sont les écrivains français
dont l'oeuvre n'a jamais pu se défaire de l'ombre d'une autre langue,
laissée sur le bord de la route, ou seulement connue par bribes, ou
encore entr'aperçue au hasard des rencontres.
L'essai de Philippe Gardy part à la recherche d'une langue, l'occitan,
qui, sans être le moins du monde leur langue d'écriture, a été ou
demeure, pour certains écrivains - des romanciers surtout - un autre
soi-même, la part d'ombre plus ou moins dissimulée de leurs mots et
de leurs fictions. Cette ombre traverse le XXe siècle (chez des auteurs
comme Jean Giono, François Mauriac, Joseph Delteil) et se prolonge
jusqu'au XXIe siècle chez d'autres dont elle influence secrètement
l'univers narratif, les personnages, le style, et jusqu'aux régions les
plus enfouies de leur imaginaire (François Salvaing, Pierre Michon,
Pierre Bergounioux, Richard Millet).
En contrepoint, l'exemple, moins connu, d'Emmanuel Delbousquet,
montre comment l'occitan a pu s'imposer à un écrivain d'expression
française hanté par son obscure présence.