Depuis les années 1990 sont apparues au Cameroun de nouvelles figures de la réussite socio-économique, symbolisées par de jeunes arnaqueurs professionnels plus connus sous le vocable de feymen. Opérant tant au plan local qu'à l'échelle internationale, ces escrocs rusés ont donné naissance à une économie morale de l'arnaque et de l'escroquerie, communément appelée feymania. Véritable phénomène de société qui se déploie dans un contexte local marqué par la crise économique, la corruption généralisée, le tribalisme officiel et surtout la marginalisation des cadets sociaux sans connections politiques, la feymania charrie tous les fantasmes du gain facile et permet à des gens d'en bas et sans qualifications d'entretenir l'espoir d'une vie meilleure.
Il n'est pas surprenant que les feymen, souvent illettrés et surtout issus pour la plupart des milieux défavorisés des centres urbains, soient devenus des modèles à suivre pour la jeunesse désoeuvrée. Cette dernière préfère ces escrocs professionnels aux fonctionnaires bardés de diplômes de plus en plus dévalorisés. A travers une ethnographie riche et détaillée qui s'appuie sur les récits de vie et des études de cas de quelques membres influents de la feymania, ce livre apporte ainsi un éclairage nouveau sur les différentes stratégies d'accumulation déployées par ces nouveaux riches, sur leurs parcours énigmatiques dans l'économie globale de l'arnaque, du crime et de l'occultisme.
L'intérêt majeur de cet ouvrage est de montrer que les feymen sont des figures ambivalentes de la modernité en Afrique postcoloniale : parce que d'un côté, ils sont admirés et même enviés pour leurs réussites exceptionnelles en temps de dépression économique et de faillite de l'État providentiel ; de l'autre côté, parce que leurs richesses sont très souvent assimilées à « l'argent magique » acquis par des moyens occultes impliquant parfois des pratiques maléfiques. Le livre montre également que les relations que des feymen les plus en vue entretiennent avec le pouvoir politique au Cameroun sont plus qu'ambiguës, parce qu'elles oscillent entre opposition et collusion, résistance et soumission.