«Quels livres valent la peine d'être écrits, hormis les Mémoires
?» écrivait Malraux dès 1928. En dépit de ce que laissait
présager ce geste de reconnaissance à l'égard d'un genre
vieux de plus de cinq siècles - rien de moins que Le Miroir des
limbes, composé des Antimémoires, puis de La Corde et les
Souris -, la dimension mémoriale a sans doute été, de toute
l'oeuvre d'André Malraux, si ce n'est la moins fréquentée, sûrement
la moins explorée.
L'étude que lui consacre aujourd'hui Jean-Louis Jeannelle
ouvre les chemins de cette «odyssée de la mémoire», depuis le
simple journal de bord jusqu'à l'«antipacte mémorial». L'auteur
montre l'origine, la logique et la chronologie d'une composition
très éclatée que le lecteur a, sans cela, du mal à percevoir.
C'est là l'originalité profonde d'une démarche qui consiste à
mettre en lumière la réflexion théorique sur un genre hérité d'une
lignée apparue avec Commynes et à établir entre les Antimémoires
de Malraux et les Mémoires de quelques autres - du
général de Gaulle à Simone de Beauvoir -, ou encore entre
Malraux et un auteur hanté par la mémoire comme Péguy, l'un
de ces «dialogues au sommet» dont Malraux lui-même était
coutumier.
Livre en abyme, livre en rebonds, livre en facettes, livre en
éclats : tout ce jeu de mémoire et de contre-mémoire constitue
la meilleure des introductions à ce thème omniprésent dans
toute l'oeuvre d'André Malraux : la métamorphose.