La seconde moitié du XXe siècle a fait de Marc Bloch l'une des grandes
figures de référence de l'historiographie contemporaine. Sa vie, exemplaire,
a inspiré plusieurs biographies, son oeuvre de nombreux essais, mais sans
que soit abolie la distance qui continue à séparer la première de la seconde.
Telle est la difficulté qu'Ulrich Raulff a choisi d'affronter.
Son objectif est de réunir dans une même vision l'historien et le chercheur,
le combattant lucide et courageux des deux guerres, le citoyen et le
résistant, et celui que Vichy conduit à s'affirmer comme «juif français». Il
est aussi de réconcilier et rapprocher trois histoires qui tendent trop souvent
à s'isoler dans leurs spécificités : l'histoire de l'histoire, l'histoire des sciences,
et une histoire de la culture politico-intellectuelle. L'histoire vécue et
construite par Marc Bloch n'a de sens que si elle communique avec toutes les
formes du savoir.
S'appuyant sur une lecture interne de l'oeuvre de Marc Bloch, Ulrich
Raulff montre les liens étroits qu'elle révèle entre l'expérience de la guerre
- au présent - et les questions posées au passé par le chercheur : la guerre
a nourri l'enquête de l'historien. Il s'efforce ainsi de dégager, par delà l'indifférence
ou la distance par rapport au politique - que Marc Bloch se reprochera
à lui-même dans L'étrange défaite -, la signification politique et éthique
de cette oeuvre, qui traduit elle-même la profonde mutation intellectuelle des
années 1930, et dont tous les historiens d'aujourd'hui ne cessent de redécouvrir
l'actualité.