Le thème des relations familiales est récurrent dans l'oeuvre de
Marguerite Duras. Cependant la singularité de ses écrits littéraires
réside moins dans la reconstitution de vies domestiques que
dans l'image parlante qu'elle en donne. En effet, la romancière
n'interroge-t-elle pas avant tout la réalité familiale comme lieu de
remise en cause du langage ?
Cet essai se propose d'observer d'une part, en quoi Marguerite
Duras refuse l'ordre narratif traditionnel lorsqu'il lui faut représenter
le chaos de la vie familiale ; et d'autre part, la reconstitution du
monde fictionnel qu'elle opère en décousant la syntaxe narrative.
La recherche de l'unité familiale ne conduit-elle pas la romancière
à subvertir les normes du langage littéraire pour retrouver, dépasser
et même abolir le temps passé perdu ? Pour nourrir une écriture à la
fois torrentielle par la quantité de choses qu'elle charrie mais lente
comme les grands fleuves asiatiques si chers à Duras - le Mékong ou
le Gange - qui emmènent, dit-elle dans L'Amant : «tout ce qui vient,
des paillotes, des forêts, des incendies éteints, des oiseaux morts,
des chiens morts, des tigres, des buffles noyés, des hommes noyés,
des leurres, des îles de jacinthes d'eau agglutinées [...] où tout
est emporté par la tempête profonde et vertigineuse du courant
intérieur et reste en suspens à la surface de la force du fleuve.»