Claire de Kersaint, duchesse de Duras (1777-1828), a connu une grande
célébrité de son vivant. Amie de Chateaubriand qui la nommait sa «soeur», elle
a tenu, sous la Restauration, le plus important salon de Paris, y réunissant, sur
fond de faubourg Saint-Germain, des savants (Cuvier, Humboldt, l'astronome
Arago...), des écrivains et des hommes politiques (Chateaubriand, Talleyrand,
Lamartine, Benjamin Constant...).
Si madame de Duras, au coeur d'un contexte politiquement agité, a laissé le
souvenir d'une grande dame supérieure à l'esprit de parti, elle doit également
demeurer comme écrivain majeur. Ses romans lui ont valu une renommée
européenne. Ourika et Édouard, publiés en 1824 et 1825, ont connu un
immense succès. Son troisième ouvrage, Olivier ou le Secret, a fait scandale avant
même de paraître. Abordant le sujet délicat de l'impuissance, il a suscité une
intense curiosité, de Stendhal notamment qui y trouva le sujet d'Armance.
On a réuni ici sous le titre Romans d'émigration, deux textes inédits :
Mémoires de Sophie et Amélie et Pauline, rédigés en 1823 et 1824, et conservés
dans des archives privées jusqu'à nos jours.
Après la mort dramatique de son père, guillotiné en 1793 pour avoir
refusé de voter la mort du Roi, Claire de Duras et les siens doivent quitter la
France. L'exil constitua pour elle une tragédie, mais ce fut également une
source d'inspiration féconde. Témoignages historiques de première main, ces
Mémoires de Sophie sont une interrogation romanesque de l'émigration. Celle-ci
fut-elle une erreur, une expiation, une faute ? Comment vivre ce bouleversement
produit par la Révolution française et peut-on survivre dans un monde
radicalement transformé ?
Telles sont quelques-unes des questions posées dans ces romans écrits
dans une langue qui tient sa perfection du classicisme et sa trame intime
d'un sentiment prématurément romantique : Claire de Duras réunissait, selon
Chateaubriand, «la force de la pensée de madame de Staël à la grâce du talent
de madame de Lafayette». «Merveilleux compromis» ajoute Sainte-Beuve
dans ses Portraits de femmes.