Il y a eu la traversée. Canot cahotant sur les vagues. La nuit qu'on espérait noire, à l'abri des patrouilles.
Il y a eu la mer, infinie, effrayante, sombre, et la nausée.
Il y a eu la traversée, pire que tout ce qu'on nous en avait dit, pire que ce qu'on imaginait qu'elle serait.
Il y a eu la mer, encore. Une nuit longue comme des semaines, la faim et la soif.
Il y a eu la traversée, la mer, la nausée, la nuit. Puis il y a eu le matin. Cette aube.
Quelle aube !
Le ciel qui se détache de la mer, le ciel qui se dénude de la nuit, le ciel enfin. Enfin, l'horizon. A l'horizon, enfin, la terre.
Les mains se sont jointes aux rames pour avancer. Oubliés, la nausée la soif la faim le froid la peur, oubliés, écrasés par la joie.
« Le voilà donc, le monde meilleur », a dit quelqu'un.
Le voilà donc.
Quelque part, sur des routes poussiéreuses, une jeune fille qui rêve de voir le monde, un enfant ayant fêté ses douze ans sous les bombes, une Tzigane dont le campement a été détruit par des hommes en uniformes et un jeune homme portant la lettre-testament et les cendres de sa mère pendue...
Chacun sur sa route et toutes les routes menant à la mer.
Puis les passeurs, le choeur des migrants anonymes et la traversée.
De l'autre côté, ni terre promise ni monde meilleur, mais un centre de rétention. Ce pourrait être Sangatte, ou Lampedusa.
Dans cet hors-temps, hors-espace, de l'attente administrative, des liens se créent entre les migrants, des amitiés et des amours naissent, une famille se dessine...