Il y a plusieurs bonnes raisons de voir en Montaigne un Don Quichotte du monde des lettres. Certes, l’analogie entre le chevalier errant espagnol et son contemporain français est loin d’être exacte : non seulement Montaigne vit ses aventures en pensée et non en fait, mais au lieu de moulins à vent, ce sont les Platon de ce monde qu’il combat sans relâche à la recherche d’une vérité fuyante. On pourrait également objecter que le chevalier à la Triste Figure n’a en rien l’esprit sain et éclairé d’un Montaigne. Le plus fou des deux n’est cependant pas toujours celui qu’on croit. Nous verrons en effet qu’il arrive à Montaigne d’affirmer que son esprit l’abandonne en cheval échappé, tandis que Don Quichotte ne parle à tort et à travers qu’en matière de chevalerie : sur tous les autres sujets, il pense clairement et librement. Or c’est précisément ce que Montaigne essaie lui aussi de faire.
Traduction de Thomas Constantinesco