L'étude des rapports entre richesses, pouvoirs et sociétés dans
L'Esprit des lois a souvent conduit à faire de Montesquieu l'un des
pères fondateurs, avec Locke, du libéralisme politique. Ce livre
propose une autre interprétation des figures possibles, chez les
modernes, d'un ordre sans vertu. La question peut être formulée
ainsi : en l'absence de dévouement civique, de primat accordé au
bien commun sur les inclinations particulières, l'intérêt suffit-il à
préserver la liberté politique et à fonder le lien social ? L'amour
des lois et de la patrie, passion dominante des cités antiques, peut-il
disparaître sans préjudice pour l'homme moderne ?
Il s'agit d'explorer les voies plurielles tracées par Montesquieu
face au «mal politique» incarné dans le despotisme. Sans proposer
de régime idéal, L'Esprit des lois théorise plusieurs formes de
gouvernement dont la prospérité et la liberté sont obtenues en
l'absence de vertu religieuse, morale ou politique. La première
forme correspond, en Angleterre notamment, au paradigme du
commerce, régi par le mobile dominant de l'intérêt, du désir de
profit. On nommera la seconde le paradigme des manières, celui
de l'honneur, de la politesse et du luxe, que Montesquieu
découvre dans les monarchies modernes.
Grâce à l'intérêt et à l'amour de la liberté, qui animent les individus
dans le système représentatif à l'anglaise, l'équilibre constitutionnel
est maintenu.
La participation à la vie civique ne constitue pas un renoncement
à l'indépendance individuelle ; la vigilance des citoyens demeure
indispensable à la protection des droits.