Qu'est-ce que l'opinion publique? Quelles sont les conditions politiques et culturelles qui ont permis l'émergence et la connaissance de cet acteur essentiel de la modernité politique? Tout en s'éloignant de la perspective sociologique indiquée par Jürgen Habermas, qui relie la naissance de l'opinion publique dans l'Europe moderne à l'essor de l'imprimerie et à la révolution médiatique du XVIIIe siècle, l'auteur étudie l'opinion publique comme une catégorie du discours politique qui s'affirme en Italie, antérieurement et simultanément à la naissance d'un public de lecteurs. Cette histoire parallèle de l'opinion publique, attentive à l'histoire sociale des concepts et centrée sur le cas emblématique de Florence et de la Toscane, est consacrée tout d'abord, à l'analyse de la nature du peuple et de ses opinions, opérée notamment par Machiavel et Guichardin au début du XVIe siècle.
La découverte de l'étrange sagesse du peuple, de son altérité, de son caractère irrationnel et variable, est un moment fondateur de la modernité politique. Par ailleurs, ce moment théorique n'est pas dissociable de la formation d'un nouveau savoir de gouvernement que l'on désigne avec le nom désuet mais illustre de «censure». Résultat d'un travail d'«archéologie institutionnelle» commencé par Machiavel sur la base du modèle républicain romain et continué par les théoriciens du principat médicéen, la censure s'impose dans le discours et dans la pratique politique de l'Etat absolutiste comme une catégorie complémentaire et non opposée à celle d'opinion. Son vaste domaine, constamment remanié au cours de deux siècles, qui inclut aussi le monde de l'imprimerie et de la lecture, révèle un aspect essentiel mais jusqu'à présent négligé de la genèse de l'Etat moderne: la nouvelle frontière du pouvoir est l'imaginaire collectif des sujets. C'est dans ce domaine si évanescent et si manipulable que se joue désormais la partie décisive pour la construction du consensus et de la sauvegarde des institutions.