« L'universel c'est le local moins les murs » disait le grand écrivain portugais Miguel Torga. Qu'on me permette de voir dans cette magnifique formule le principe même, l'alpha et l'oméga de la grande geste poétique de Jidji Majia. Je ne connais pas aujourd'hui, en France ou ailleurs dans le monde, une oeuvre à la visée aussi ample, aux préoccupations aussi vastes, brassant l'histoire du monde comme son actualité la plus proche, étreignant avec fougue tous les états de la réalité, que celle de Majia. Or il se trouve que cette poésie, et c'est le sens même du paradoxe de Torga, trouve son origine, son point d'appui, puise son son énergie, sa force et sa cohérence dans son inscription première et toujours revendiquée dans un lieu, une tradition, une langue tout à fait particuliers : la culture ancestrale, les montagnes et les hautes vallées du peuple Yi dans le sud-ouest de la Chine aux confins du Tibet. C'est l'esprit de ce lieu, ses mythes, sa force tellurique et son abouchement naturel à l'immense qui portent tous les poèmes, leur donnent leur souffle et leur rythme, leur gravité et leur élan.
C'est en effet dans la spiritualité immémoriale de ce peuple des hautes terres, dans ses mythes, ses rituels, que puise la poésie de Jidi Majia, c'est elle qui inspire une de ses préoccupations les plus constantes, si essentielle pour notre temps : l'interrelation étroite, consubstantielle et tant détériorée hélas entre l'homme et la terre, le ciel, les montagnes, les fleuves et le règne animal. Célébrer ce lien, en faire un chant continu, en rappeler la nécessité absolue est comme un devoir sacré pour le poète, celui que lui ont enseigné dans son enfance les anciens et ce grand prêtre des mystères qu'est le chaman.