Bien qu'elle demeure à la fois mystérieuse et rebutante, mais aussi fascinante, l'oeuvre complexe d'Opicinus de Canistris attire aujourd'hui l'attention des chercheurs de tous horizons, séduits par sa diversité. L'amateur est cependant étonné de constater que les écrits qui la composent n'ont, jusqu'à présent du moins, fait l'objet d'aucune reconstitution, et que leur traduction aboutie n'a jamais été réalisée, si l'on excepte l'entreprise fondatrice da R. G. Salomon elle-même restée incomplète. Les dessins qu'Opicinus a accumulés conservent de ce fait leurs énigmes et autorisent ainsi la parution d'interprétations aussi brillantes qu'approximatives.
En attendant que soient disponibles les traductions des textes opiciniens, à partir desquelles pourraient se développer des études recentrées, l'auteur poursuit sa tentative d'explication amorcée dans « Art et Folie au Moyen Age » (Le Leopard d'Or, 1997) par l'analyse de six nouveaux dessins, et de quelques textes du cahier sur papier.
La question n'est plus aujourd'hui de savoir si, oui ou non, Opicinus de Canistris était psychotique. Il s'agit désormais de tenter de montrer comment son oeuvre témoigne, à sa manière, d'un élan culturel particulièrement fécond au Moyen Age, comment elle parvient à s'inscrire dans l'expérience de son temps, et comment elle en sélectionne certains faits, et évènements, en fonction d'une vision mystique et mégalomaniaque totalisante, demeurée secrète grâce à l'application de recettes efficaces ayant réussi un cryptage hermétique auquel se heurte toute tentative de lecture.
Dans son oeuvre, Opicinus de Canistris cherche avec constance à établir systématiquement qu'à l'occasion des fêtes pascales 1334, abordées dans un état psychique particulièrement délabré, de simple prêtre excommunié qu'il était alors, il s'est découvert Christ, mort et ressuscité, en compétition avec Jacques Fournier pour briguer le trône de Pierre à la mort de Jean XXII.
Les multiples effort accomplis par Opicinus de Canistris aboutissent surtout à démontrer que, tout en demeurant bien inséré socialement, il s'est soudain senti apte, grâce à la nature de son délire, à se vouer à la création exigeante d'une oeuvre gigantesque et unique au monde, à brasser une somme encyclopédique de connaissances rassemblées au fur et à mesure de ses pérégrinations, à les relier à son aventure originale, tout en reflétant les turbolences de son temps, afin de contribuer au relais et à la transmission d'une culture universelle telle que nous pouvons la connaître grâce au recul que nous procurent les siècles écoulés.