Nadja n'est pas seulement le récit célèbre d'une rencontre entre le poète et la jeune femme qui se donna à elle-même l'énigme du nom de Nadja, ni celui d'un échec de cet amour qui la conduisit au désastre. Sur ce point, le pathétique et le lyrisme n'instruisent pas.
La rigueur clinique de Breton lui avait fait voir la fragilité de Nadja et il fut bouleversé - quoi qu'on en ait médit - par le déclenchement brutal de sa psychose. Il se savait partie prenante de ce ravage. Il avait éprouvé lui-même les dangers des expérimentations poétiques d'une écriture automatique surgie de l'inconscient dans Les Champs magnétiques. Mais n'est pas fou qui veut. Au contraire, il y trouva le lieu exact mais aride où la poésie ne transgresse pas seulement des significations déjà là, mais invente la production même du sens. C'était le lieu où Nadja ne pouvait se tenir, mais où elle tentait l'impossible sans pouvoir le forcer par l'écriture. Ses lettres touchantes se brodent sur le canevas périlleux des textes que Breton lui fait lire, mais lui font comprendre à quel point elle est perdue.
Nadja est le récit du passage par une radicalité qu'il élabore du même coup, car elle n'est pas donnée, sur ce qui peut faire sens dans le langage et dans le monde. Cela ne laisse intactes ni l'écriture de Breton ni la lecture de ceux qui ont enfin décidé que le surréalisme est autre chose qu'un bric-à-brac muséal, imaginaire, énigmatique et séducteur.