Visionnaire, célèbre et célébré, talentueux et redoutablement savant, le peintre d'origine lyonnaise Paul
Chenavard fut tout au long du XIXe siècle - dont il rallia quasiment les deux extrémités (1807-1895) -
un personnage central de la vie artistique. Il n'en demeure aujourd'hui rien, ou presque. Son obsession
d'un dispositif esthétique absolu, susceptible de dévoiler les ressorts de l'histoire et de l'infléchir, écrasa
sa vie. Incapable d'achever son gigantesque projet de Palingénésie universelle que lui inspirèrent Hegel
et les peintres mystiques allemands, ratant l'occasion de l'installer au coeur du Panthéon, il finit par
promener, au fil des coteries et des portraits qui lui rendaient hommage, sa tenace mélancolie.
La carrière de Paul Chenavard fait partie des grands exemples de l'auto-investiture sociale de la création,
ambitionnant, à compter du romantisme, de rénover le monde. La vocation du peintre-prophète
est surtout l'illustration édifiante de l'écart entre les prétentions historiques qui construisent le mythe
moderne de l'artiste et une efficacité pour le moins relative. C'est cet écart que mesure le présent
essai, à la recherche d'un être dont le trajet, faute d'être digne des grands maudits, confina à l'errance des
destins manqués.