Peindre les maux
On est surpris de constater le désintérêt que suscitent aujourd'hui des images autrefois très prégnantes : représentations de la cécité, de la peste, de la gangrène, de la lèpre, de la syphilis, de l'épilepsie, etc. En nous débarrassant de la majorité de ces maux, du moins en Occident, la société contemporaine les a aussi refoulés, comme un souvenir désagréable, un peu honteux. Notre temps est celui de l'image, mais de l'image nette, aseptisée, glacée, corps sculpturaux et parfaits s'étalant à l'envi sur les pages des magazines ou les écrans des télévisions.
Paradoxalement, ce rêve des corps idéaux était aussi celui de la Renaissance. D'où cette question : comment cette esthétique de la perfection s'accordait-elle avec la représentation de la maladie ? On pense d'abord aujourd'hui à Titien, à Tintoret ou à Véronèse comme à des peintres plaisants, ils n'en ont pas moins représenté des malades, des estropiés, des pestiférés, autant de personnages que nous nous sommes habitués à ne plus voir. Or, c'est justement sur eux que Florence Chantoury-Lacombe concentre son attention, nous révélant ainsi des oeuvres mal connues, ou que l'on n'avait pas su voir. Les analyses de tableaux, de gravures, de dessins, etc., constituent donc la dimension essentielle de cet essai. Comme le souligne Alain Laframboise, « pour l'auteur, interpréter l'oeuvre revient à beaucoup plus qu'à l'inscrire dans un environnement, religieux, artistique, scientifique, juridique, c'est appréhender une organisation du réel, saisir comment une circulation s'établit entre toutes ces dimensions ; comment elles se rabattent les unes sur les autres, s'ordonnent et se prolongent. »