Le projet de l'intelligence artificielle a souvent été résumé par la formule : prenez soin de la syntaxe, et la sémantique prendra soin d'elle-même ; mais il est tout aussi légitime d'y voir l'aboutissement de cet autre mot d'ordre, également attesté dans l'histoire de la logique : éliminez l'intuition. Ainsi redécrit en des termes plus familiers aux philosophes - puisqu'on les trouve par exemple chez Leibniz ou chez Husserl -, ce programme apparaît alors comme une thèse sur les rapports de la pensée symbolique et de l'intuition, thèse dont il y a tout lieu de penser qu'elle est fausse. A cet égard, l'ouvrage se présente avant tout comme un plaidoyer en faveur de l'intuition ; mais cette réhabilitation passe par une défense préalable de la pensée symbolique, souvent décriée à tort par les philosophes, et dont l'intelligence artificielle nous a précisément permis de mesurer une fois de plus la fécondité.
Cet essai se propose moins de présenter l'intelligence artificielle aux philosophes, ce qu'on peut considérer comme ayant déjà été fait, que de montrer comment la philosophie peut apporter sur celle-ci un éclairage différent de celui qui circule le plus souvent sous le nom de «philosophie de l'intelligence artificielle».