On dit qu'écrire sert à mettre à distance ; à regarder de plus loin l'émotion. Certainement. Mais c'est aussi le contraire : écrire sert à vivre plus, à sentir de plus près ce qu'on vit - surtout quand l'émotion coïncide pour un temps, plus ou moins long, avec la vie même. Les poètes troubadours disent qu'«aimer» et «chanter» sont des verbes synonymes. Ils ont raison. L'un et l'autre se lèvent, à distance très rapprochée, comme un double vent, qui aère les choses, change le paysage. La vie, surtout quand elle est éclairée par une lumière nouvelle, dans le cœur, fuit très vite. On se jette sur son crayon : «Reste, soleil, reste un instant de plus» - prière faite au papier ; l'astre, déjà, suit son cours. C'est une affaire d'instants.
J. R.