« Le moment de la pure fondation où est inventée l'égalité est aussi celui de l'invention de sa perversion. Impossible dénouement, nouage à la base même du politique. La cité est une histoire de fondation nécessaire, mais impossible. Au principe archaïque du politique, il y a donc la crise. [...] Déceler ce que le temps ordinaire ne nous permet pas de voir, ce qui se cache par-delà les nuages, telles sont la tâche et la réussite du fictionna-lisme philosophique. »
La philosophie politique s'en est longtemps tenue à la recherche du meilleur régime possible, sous la forme du traité. Cette histoire prescriptive n'est cependant que la plus visible. À côté des concepts abstraits et généralisants, une tendance plus discrète existe, qui incarne la théorie. Les fictions politiques sont une clef pour qui ne veut pas en rester à l'analyse des strates institutionnelles. Loin d'être un simple réservoir d'exemples et de cas, le fictionnalisme politique a une fonction épistémique. Mythes, fables, incursions littéraires sont la matière d'une réflexion qui analyse autant qu'elle invente le politique. L'imagination philosophique utilise des personnages conceptuels, qui introduisent à la singularité et à la nuance. L'île, le partisan, Robinson Crusoé ou Benito Cereno, mais aussi Lénine ou Lawrence d'Arabie, peuplent le protagonisme de Haim Burstin, le politique selon Carl Schmitt, le Léviathan de Carlo Ginzburg, l'agora par Hannah Arendt ou le droit de la guerre de Michael Walzer. Cette perspective renouvelle la question du réalisme politique et met en lumière ce que la philosophie doit aux images et à la création.