Écrit en 1939, au Mexique où María Zambrano est alors en exil, Philosophie et poésie constitue une entrée idéale dans l'oeuvre de la philosophe espagnole. Dans ce bref volume, elle analyse les deux versants qui composent traditionnellement la pensée depuis les Grecs, développant leurs aspects non pas antinomiques mais complémentaires : « Aujourd'hui poésie et pensée nous apparaissent comme deux formes insuffisantes, nous semblent être deux moitiés de l'homme : le philosophe et le poète. L'homme entier n'est pas dans la philosophie ; la totalité de l'humain n'est pas dans la poésie ».
Écrit à l'issue d'une série de conférences et de cours donnés en Amérique du sud, Philosophie et poésie conserve l'énergie de la parole adressée, une parole qui cherche, compose avec ses héritages, chemine avec un engagement total, une sincérité dont chaque phrase témoigne. Dans son prologue, María Zambrano qualifie d'« utopique » l'écriture de ce livre, comme l'est chez elle la vocation philosophique : « J'entends par Utopie la beauté irrésistible, et aussi l'épée d'un ange qui nous pousse vers ce que nous savons impossible, comme l'auteur de ces lignes a toujours su qu'elle ne pourrait jamais faire de Philosophie, et pas seulement parce qu'elle est une femme. Vocation que révèlent les paroles elles-mêmes, puisqu'à l'adolescence on me demandait, tantôt avec compassion, tantôt avec une ironie quelque peu cruelle : et pourquoi faire de la Philosophie ? Parce que je ne peux m'en empêcher. »