De l'interdiction du port de la barbe à la fondation de Saint-Pétersbourg,
de la mise au pas de l'Église orthodoxe à la
réforme de l'administration, du renouvellement des élites
traditionnelles au recrutement massif de têtes pensantes et de
travailleurs manuels d'origine étrangère, des trois voyages du
souverain en Europe occidentale et des explorations lancées vers l'Asie
centrale et l'Extrême-Orient à la création d'une grande Académie des
sciences, le tsar Pierre (1672-1725) n'a jamais cessé de vouloir sortir
la vieille Moscovie de son isolement. C'est à bon droit qu'on peut le
qualifier d'architecte de la Russie moderne. Il se voyait d'ailleurs en
nouvel Alexandre le Grand et s'est fait proclamer, quatre ans avant
sa mort, «père de la patrie», «imperator» et «grand», ce qui donne
la mesure de ses ambitions pour lui-même et pour son pays.
Le passif est pourtant loin d'être négligeable : les fragilités de
l'homme - débauche, alcoolisme, goût immodéré des mascarades -
et l'usage courant de la violence avec les membres de sa famille
comme avec ses adversaires politiques, le recours systématique à
la guerre, une diplomatie incertaine et une fiscalité écrasante ont
constitué autant d'entraves à la modernisation.
Reste que ce règne flamboyant et haletant demeure l'un des plus
passionnants que la Russie ait connus. Mal connu en France, il fait
ici, sous la plume de Francine-Dominique Liechtenhan, l'objet d'une
évocation aussi riche de «grande histoire» que de «petits faits vrais»
et significatifs.