Le Pilori
Pendant longtemps, je fus clouée au pilori,
Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri.
Puis, des hommes ont pris dans leurs mains une boue
Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue.
Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots,
Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots.
Je les voyais ainsi, comme à travers un songe
Affreux et dont l'horreur s'irrite et se prolonge.
La place était publique et tous étaient venus,
Et les femmes jetaient des rires ingénus.
Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles,
Et le vent m'apportait le bruit de leurs paroles.
J'ai senti la colère et l'horreur m'envahir.
Silencieusement, j'appris à les haïr.
Les insultes cinglaient, comme des fouets d'ortie.
Lorsqu'ils m'ont détachée enfin, je suis partie.
Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors
Mon visage est pareil à la face des morts.
À l'Heure des Mains jointes (1906)
Plus d'un siècle après sa mort, ne serait-il pas temps de détacher « la Muse aux violettes » et « Sappho cent pour cent » du pilori auquel elle reste « clouée » dans les Lettres françaises, et de rendre justice à son oeuvre poétique ? On trouvera ici dix recueils signés Renée Vivien, dont trois sont posthumes, qui permettront de donner à cette femme poète la place qu'elle mérite. Connue sous ce nom de plume, Pauline Mary Tarn naquit en Angleterre en 1877 et mourut à Paris à l'âge de trente-deux ans.