Qu'un poète au destin aussi tragique que celui de Li
He (791-817) ait eu pour troisième nom Li Changji
(«Infaillible Bon Augure»), voilà qui tient de la
gageure. Pourtant les meilleurs auspices semblaient
réunis : une bonne famille - le poète descend du
clan impérial - et un vrai talent - le célèbre lettré
Han Yu, qui deviendra ministre, lui accorde son appui
après avoir admiré ses poèmes. Son destin s'éclaire-t-il
alors ? Non, puisqu'on lui refuse jusqu'au droit
de se présenter au concours de «lettré avancé» pour
des raisons onomastiques. Il obtient à grand-peine
un poste subalterne au Bureau des Rites, insuffisant
pour les nourrir, lui, sa mère et son jeune frère. De
Changgu, sa ville natale au Henan, à Chang'an, la
capitale, il promène son tragique destin.
L'homme inquiète par sa silhouette squelettique, ses
cheveux blancs, ses sourcils d'un seul tenant et ses
ongles démesurés. Cultive-t-il son air de fantôme
(les Chinois le nomment «poète fantôme» ou «fantôme
parmi les poètes»), on ne sait, mais ce n'est pas
étonnant que les anthologies l'aient boudé et que les
lecteurs l'aient fui. Trop de malheur ! Il ne se nomme
guère dans ses vers, mais tout parle de lui, tout est lui :
ministre évincé, favorite oubliée, palais déserté... jusqu'à
l'armoise qui l'envahit.
Peut-on encore ignorer quel génie fut Li He ? Donnons-lui
auprès des Li Bo et Du Fu la place qu'il mérite.