Poil de Carotte, on le sent bien à la lecture, est tout à la fois un portrait de
l'auteur, l'expression vive d'une rancune de Jules Renard contre sa mère
mais aussi, incidemment, l'aveu d'une tendresse refoulée et la description
crue de l'enfance dégagée de toute sensiblerie :
«Il faut casser l'enfant en sucre que tous les Droz ont donné à sucer au
public. L'enfant est un petit animal nécessaire. Un chat est plus humain.
Non l'enfant qui fait des mots, mais celui qui enfonce ses griffes dans tout
ce qu'il rencontre de tendre. La préoccupation est continue, de les lui faire
rentrer.»
Poil de Carotte est donc une rectification, une mise au point où il n'y a ni
intrigue, ni remplissage, point de descriptions, ni de portraits, et où pourtant,
dès les premières lignes, qui donnent le ton, d'une justesse saisissante, les
personnages vivent, étonnamment vrais, fixés pour toujours dans un récit
d'une sobriété exemplaire, où chaque mot a son poids, amenant des dialogues
dont les répliques sont percutantes, et les étourdissants monologues de
Mme Lepic, qui annoncent en Renard l'auteur dramatique.