Il y a une ombre. On dit ombre,
faute d'un autre mot. Pour donner
forme à ce qui n'en a pas. On pourrait
dire tout aussi bien compagnon -
«ce latent compagnon qui en moi
accomplit d'exister», écrivait
Mallarmé. Mais ombre est moins
net, plus évasif. Alors, faire le
portrait d'une ombre ? Faire signe
non pas vers une image déjà visible,
mais vers ce non-visible qui peu à
peu se trame aux lisières du visible.
Vers cette chose qui passe et vous
laisse dans la bouche comme une
voix silencieuse. Une voix qui parle,
pourtant, qui parle, même si vous
vous taisez. Ce que dit cette voix,
vous n'en savez rien. Vous ne vous y
reconnaissez pas - vous vous y
reconnaissez, peu importe. Il ne
s'agit pas d'identité. Ou alors de
cette identité obscure qui est une
autre manière de dire qu'on ne sait
rien. Qu'on est entre : entre ici et
ailleurs, entre hier et demain, entre
tout et rien. Entre, toujours, entre.
Entre le jour, la nuit, ce qui vient, ce
qui s'en va - et qui revient toujours.
Jacques Ancet