Qu'il s'agisse d'inégalités de traitement en fonction du sexe, de la race,
de la sexualité, de la religion, de l'origine, des handicaps, de la santé...
les discriminations sont aujourd'hui perçues et combattues comme
la figure centrale des injustices. S'il est indispensable de les décrire et de les
mesurer, il faut aussi que l'on sache mieux comment elles sont vécues par celles
et ceux qui les subissent. L'écart est grand, en effet, entre les inégalités objectives
et la manière dont les personnes les ressentent et, surtout, dont elles les
tiennent pour justes ou injustes.
Pourquoi moi ? s'efforce de rendre compte de ce vécu plus divers qu'il n'y paraît.
De l'«expérience totale» qui fait de la discrimination le coeur de l'identité et du
rapport au monde des individus à la distanciation que d'autres parviennent à
installer grâce à un ensemble de stratégies et de tactiques, se déploie un espace
de discriminations ressenties de façon plus ou moins intense.
Ces expériences sont déterminées par le jeu complexe des conditions sociales.
Ainsi les plus discriminés ne sont pas nécessairement ceux qui éprouvent les
sentiments d'inégalité les plus aigus. La comparaison entre l'école et l'hôpital
montre que les discriminations sont perçues de façon très différente dans ces
institutions pour lesquelles la diversité des cultures et des personnes ne constitue
pas le même enjeu.
Les discriminations et les luttes qu'elles entraînent révèlent de profondes transformations
de notre vie sociale et de nos subjectivités ; non seulement elles dévoilent
des injustices intolérables, mais elles montrent comment les individus essaient
de se construire comme les sujets de leur liberté et de leur identité quand l'ordre
social perd de son unité et de son ancienne légitimité.