Le XIXe siècle est par excellence le siècle d'or du voyage en Valais. Senancour, Stendhal, Chateaubriand, Byron, Nodier, Hugo, Dumas, Musset, Sand, Dickens, Beecher-Stowe, Gautier, Flaubert et Maupassant entre autres sillonnent le Valais, de Saint-Gingolph au glacier du Rhône. Parce que la route qui les conduisait en Italie passait par là, à l'aller ou au retour, mais aussi assez souvent pour sacrifier aux besoins de la mode, pour fuir un quotidien désenchanté ou prosaïque, pour chercher la beauté ou l'inspiration. C'est ainsi que nous possédons foule de narrations, de récits, de relations, de notes, d'« impressions » de voyage. Töpffer est de ceux-là. A la différence que, contrairement à ses illustres prédécesseurs ou contemporains, il a parcouru la vallée du Rhône plus de dix-huit fois, de 1825 à 1842, et que sa démarche, loin de toute préoccupation littéraire ou scientifique, touristique ou esthétique, l'a conduit à renouveler le récit de voyage.
Rodolphe Töpffer voyage à pied, à dos de mulet, en char à bancs, mais rarement en diligence. Et le plus possible dans des chemins de traverse, où l'on rencontre peu de touristes.
Il ne voyage pas pour voir ce que d'autres avant lui ont vu, pour collectionner des images et rapporter des souvenirs, pour s'émerveiller devant la grandeur des montagnes. Les hautes cimes ne l'intéressent pas plus que les monuments, les églises ou les châteaux. La Pissevache, que tant d'écrivains célèbres ont admirée avant lui, lui paraît bien « au-dessous de sa renommée ; et bien moins pittoresque que les chutes du Reichenbach ». Le Valais de Töpffer n'est pas objet de curiosité, de vénération, d'expérimentation ou de conquête. Encore moins cette contrée sauvage qui plaisait tant aux écrivains romantiques en quête d'exotisme ou de paysages en accord avec leur âme tourmentée. Les crétins et les goitreux ne lui inspirent ni commentaires ni dégoût. Töpffer marche, sans itinéraire et sans but, en observateur attentif et amusé des scènes de la nature et des hommes, en caricaturiste, en « entomologiste du monde social ». Et s'il écrit, c'est pour noter ce qu'il voit, ce qu'il entend, ce qu'il ressent, afin de le voir, de l'entendre et de le vivre plus intensément.